Située dans la partie Nord de l’Ile de Chypre, en Méditerranée orientale,au Sud de la Turquie dans le bassin levantin, la République Turque de Chypre du Nord (ou RTNC), autoproclamée indépendante depuis 1983 s’étend sur une superficie de 3 355 km² (soit un tiers de l’île). Avec ses 250 000 habitants, la population est composée essentiellement de Chypriotes et de colons turcs (environ 93 000). Sa capitale correspond à la partie Nord de Nicosie (Lefkoşa en turc), capitale de la République de Chypre.
Politique
La RTCN est une république démocratique laïque à régime semi-présidentie.
Le président élu pour 5 ans au suffrage universel direct est chef de l’Etat et est représenté actuellement par Derviş Eroğlu, nationaliste (parti unité nationale) depuis avril 2010. Le premier ministre, chef du gouvernement, est également élu pour 5 ans, au suffrage à la proportionnelle. Les élections législatives d’avril 2009, ont amené le candidat de droite, Irsen Küçük (parti unité nationale) à la tête du gouvernement
Historique
Afin d’expliquer plus clairement dans quel contexte s’est effectué la sécession de la République Turque de Chypre Nord en 1983, il convient de revenir 4 siècles auparavant
De l’Empire Ottoman à l’indépendance de Chypre en 1960
C’est au XVIème siècle que les Ottomans envahissent l’île de Chypre. A cette époque, l’île est peuplée majoritairement de Chypriotes grecs. En mettant en place le système du millet (ensemble institutionnel autonome formant une communauté (religieuse) reconnue), les Ottomans permettent aux Chypriotes grecs de garder leur identité.
Lors de la guerre russo-turque consécutive au mouvement panslaviste lancé par la Russie en 1877, l’Empire Ottoman demande le soutien du Royaume-Uni.
Voyant l’empire russe gagner en puissance et un empire ottoman affaibli par des défaites successives dans la guerre russo-turque de 1877-1878, la Grande-Bretagne sent son empire menacé (Route des Indes..) et conteste le traité de San Stefano du 03 mars 1878 imposé par la. Russie.
Le Royaume-Uni s’oppose à ce traité et en juillet 1878 est signé le traité de Berlin prévoyant notamment la cession de Chypre par les Ottomans aux Britanniques, sous forme de bail, leur laissant l’administration de l’île mais garantissant la souveraineté de l’île à la Sublime Porte.
Profitant du contexte, les Chypriotes grecs de l’île dans le but de l’Enosis, demande le rattachement de Chypre à la Grèce. Les Britanniques refusent, l’île appartenant toujours à l’Empire ottoman.
Lors de la première guerre mondiale, l’Empire ottoman rejoint la « Triplice » ou « Triple Alliance » (Empire allemand, Empire austro-hongrois, Royaume d’Italie).
La Grande-Bretagne réplique immédiatement et annexe l’île de Chypre annulant ainsi le traité de Paris.
A l’issue du conflit de 14-18, l’île devient une colonie britannique en 1923 lors du traité de Lausanne.
Montée du nationalisme chypriote grec
Les années 30 sont marquées par une nouvelle montée du nationalisme grec toujours dans le but de l’Enosis. Des révoltes éclatent et aboutiront par la proclamation de l’Etat d’exception en 1931 amenant ainsi les Britanniques à de dures répressions envers les Chypriotes grecs.
En 1950, Makarios III, archevêque orthodoxe de Nicosie tente de négocier l’Enosis par voie diplomatique avec la Grèce et enfin les Nations Unies, démarche finalement bloquée compte tenu du contexte de la guerre froide..
Les nationalistes chypriotes grecs se radicalisent et se mobilisent contre les force britanniques afin d’obtenir leur indépendance. Georges Grivas crée l’ EOKA (Organisation Nationale des Combattants Chypriotes), mouvement soutenu par Markarios III.
Les Chypriotes turcs se rallient aux Britanniques contre l’EOKA et demandent le partage de l’île (taksim). Ils créent parallèlement le Türk Mukavemet Teşkilatt (Organisation de résistance turque) représenté par Rauf Denktaş.
En 1955, des attentats sont commis par l’EOKA (bombardements et assassinats des opposants chypriotes grecs et britanniques à l’ENOSIS). Malgré les propositions de Lord Radcliffe, juriste britannique, pour une autonomie gouvernementale, les exactions se multiplient. Les Britanniques finissent par déclarer l’Etat d’urgence et condamnent à mort quelques activistes. Makarios III est déporté aux Seychelles.
En Turquie et en Grèce, des conflits éclatent entre les 2 communautés. Des grecs sont expulsés de Turquie et vice versa.
Les accords de Zurich et de Londres signés entre la Grande-Bretagne, la Turquie et la Grèce, mettent un terme à cette lutte coloniale en 1959. La Chypre devient une république indépendante le 16 août 1960. Les signataires des 2 traités se portent garants de cette nouvelle république. La Grèce et la Turquie maintiennent une partie de leur troupe et la Grande-Bretagne conserve les bases militaires de Akrotiri et Dhekelia dans le Sud de l’île.
De l’indépendance au coup d’Etat de 1974
Makarios III de retour d’exil est élu président de la République de Chypre. Considérant que la constitution privilégiait davantage les chypriotes turcs au pouvoir législatif demande la révision de celle-ci ce qui provoque le départ des politiciens chypriotes turcs et la reprises des violences intercommunautaires. Afin d’éviter le chaos, les Nations Unies envoient 2500 casques bleus au printemps 1964. Parallèlement, la Turquie bombarde certaines zones de l’île et la Grèce approvisionnent ses effectifs en armes.
En même temps, la vie politique en Grèce est très instable de 1965 à 1967. Les gouvernements éphémères se succèdent aboutissant à un coup d’Etat mené par des officiers, appelé « coup d’état des colonels » le 21 avril 1967. Hostile à Makarios, ils soutiennent l’EOKA . Malgré les pressions, Makarios parvient à être réélu en 1968 et 1973.
Opération Attila
En 1974, il doit finalement quitter la présidence suite à un coup d’état, le 15 juillet, mené cette fois-ci par la garde nationale assistée par les colonels grecs. L’ancien membre de l’EOKA, Nikos Sampson, devient alors président de la République de Chypre.
Consécutivement à ce coup d’état, Makarios accuse la Grèce de mener une invasion de l’île. La Turquie, craignant l’Enosis, et prétextant une opération de maintien de la paix (conformément au traité de garantie de 1959), envoie 10 000 soldats dans le Nord de l’île, contraignant ainsi environ 200 000 Chypriotes grecs à rejoindre le Sud de Chypre.
En Grèce, le régime des colonels est renversé ce qui provoque le départ de Nikos Sampson.
Fin 1974, Makarios est de retour sur l’île et brigue un nouveau mandat à la présidentielle. Le 13 février 1975, Rauf Denktaş, leader du parti Türk Mukavemet Teşkilatt, proclame la partie Nord de l’île « Etat fédéré turc ». Makarios devient alors président de la partie Sud de l’île.
Les troupes de l’ONU, craignant un durcissement du conflit, installent immédiatement une zone démilitarisée : la ligne verte ou ligne Attila qui s’étend sur 180 kms et coupe la capitale en 2.
Le 15 novembre 1983, les parties Sud et Nord n’ayant toujours pas trouvé un terrain d’entente, Rauf Denktaş, proclame l’indépendance de la « République Turque de Chypre du Nord », immédiatement reconnue par la Turquie mais considérée de jure comme nulle par les Nations Unies.
Economie
Pendant longtemps, l’économie chypriote sur l’ensemble de l’île était basée sur l’exploitation de riches mines d’or, d’argent et surtout de cuivre. De même que le secteur de l’agriculture, grâce au sol très fertile, représentait l’activité essentielle de Chypre.
La non reconnaissance par la communauté internationale de la RTCN l’isole des échanges commerciaux internationaux et la rend dépendante de la Turquie dans ses exportations et ses importations. Sa position par rapport à l’Union Européenne ne peut lui permettre de commercer librement avec les membres puisque l’arrêté de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 5 juillet 1994 stipule que les certificats d’origine de la zone nord ne sont plus acceptés dans l’Union.
Malgré un fort potentiel touristique, sa clientèle est essentiellement turque ou chypriote turque provenant de la diaspora. Ce qui encore une fois renforce sa dépendance par rapport à la Turquie.
Les tentatives de réunification
En vue de l’intégration de Chypre dans l’Union Européenne, l’ONU propose un plan de réunification, le plan Annan, soumis à un référendum en avril 2004. Ce plan n’était autre qu’un projet de fédération visant à créer une République Chypriote Unie couvrant l’intégralité de l’île sauf les zones occupées par les Britanniques. Une nouvelle organisation gouvernementale était également prévue :
- " un conseil présidentiel représentant les deux communautés
- un président et un vice-président choisi parmi ses membres par le conseil présidentiel (un de chaque communauté)
- un parlement bicaméral
-
o Un Sénat (chambre haute) de 48 membres, répartis entre les deux communautés
o Une Chambre des députés (chambre basse) de 48 membres, répartis au prorata des deux communautés
- Une Cour suprême composée d'un nombre égal de juges chypriotes grecs et chypriotes turcs; ainsi que trois juges étrangers, tous nommés par le Conseil présidentiel.
Le plan comprenait une constitution fédérale, la conservation des constitutions de chaque État, une série de lois fédérales et constitutionnelles, et une proposition de drapeau et d'un hymne national. Il a également prévu une commission de réconciliation pour rapprocher les deux communautés et résoudre les différends en suspens".
Lors du référendum, le Oui remporte largement (65%) au sein de l’électorat chypriote turc contre 25% dans le Sud de l’ïle.
Le « Non » des Chypriotes grecs
Les Chypriotes grecs souhaitaient avant tout le départ des colons turcs, la démilitarisation du Nord et le retour des 200 000 Chypriotes grecs dans le Nord ainsi que la restitution de leur propriété sur cette zone occupée actuellement par les Turcs ou Chypriotes turcs. De plus, les Chypriotes grecs craignaient de vivre la même expérience que les Allemands lors de la réunification (RFA/RDA) en réintégrant un territoire économiquement agonisant. En ce qui concerne la démilitarisation, les Chypriotes grecs ne pouvaient admettre qu’après la réunification, la zone nord ne soit pas complètement démilitarisée. Ils ont encore en mémoire la violence de l’armée turque lors des conflits 1974. Enfin, en 30 ans, la population chypriote grecque a pu atteindre un niveau de vie confortable et il n’est pas vraiment envisageable que certains décident d’aller s’installer dans le Nord, aux côtés de Chypriotes ou Colons turcs.
Le « Oui » des Chypriotes turcs
Le « oui » de l’électorat chypriote turc s’explique déjà par l’arrivée en Turquie de nouveaux politiciens et gouvernements favorables au plan Annan. De plus, l’ex- président de la RTNC, Mehmet Ali Talat, premier ministre à l’époque, était bien disposé à s’ouvrir sur les négociations.
Pour la population chypriote turque, outre les intentions d’Ankara et de Nicosie d’une intégration à l’Union Européenne, ce « oui » a été surtout l’expression de leur lassitude quant à l’isolement dont ils sont victimes, sur le plan économique et international. Dépendants de l’Etat turc, leurs perspectives d’avenir sont bien réduites.
Par conséquent, la zone Nord fait partie de jure de l’Union Européenne et se voit exclue ainsi de toute union économique, monétaire, douanière. L’autre conséquence est également que la république de Chypre ne fait pas partie de l’espace Schengen du fait qu’elle ne veut pas contrôler le passage entre le Nord et le Sud (la ligne verte). Considérer la ligne verte comme une frontière reviendrait alors à reconnaître la République Turque de Chypre du Nord.
Depuis le plan Annan, d’autres négociations n’ont pas toujours pas abouti à un compromis. En 2006, la proposition de la Turquie, dans le cadre des pourparlers concernant son éventuelle adhésion à l’Union Européenne, d’ouvrir un port (Famagouste) et un aéroport (Ercan) en RTCN pour des navires et avions chypriotes grecs a été rejetée par les Chypriotes grecs, ces derniers prétextant que « la Turquie bafouait l’Union Européenne car la proposition était dépourvue de sérieux ».
Les dernières négociations de 2008 n’ont toujours pas permis de trouver un terrain d’entente entre les deux parties.
L’entrevue des deux leader Chypriotes turcs et grecs en novembre 2010 à Genève n’ a pas démontré une réelle volonté des deux parties de trouver un compris malgré l’exaspération de Ban Ki-Moon et des institutions européennes et internationales. Les Turcs insistent sur la parité totale de l’île soit deux Etats constitutionnels ce que rejettent les Chypriotes grecs.
Conclusion
Les chances de remédier à ce statu quo semblent bien comprises. Pour certains experts européens, cette crise dure déjà depuis trop longtemps et les nouvelles générations sont encore moins en clin à une réunification que leurs aînés. Un partage équitable de l’île n’est pas envisageable pour les Chypriotes grecs, sachant que ces derniers représentent 80% de la population totale de l’île et que l’économie dans cette partie de l’île est beaucoup plus dynamique qu’en RTCN. Une réunification aurait l’atout supplémentaire d’ouvrir les échanges commerciaux avec l’Union Européenne et la Turquie et rapporterait 3.5 milliards de dollars en plus.
Outre ces critères, la Grande-Bretagne ne semble pas disposer à céder les 2% du territoire qu’elle occupe avec ses deux bases militaires et son « droit de garantie » dont elle dispose depuis 1960. Il faut d’ailleurs noter que « Chypre verrouille un couloir énergétique » avec l’ouverture de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, le port de Ceyhan au Sud-Est de la Turquie sera donc le point d’acheminement vers l’Europe.
En ce qui concerne la position de l’Union Européenne au sein de ce statu quo, cette situation affaiblit « sa crédibilité dans les institutions européennes et internationales et ne montre pas vraiment son aptitude à gérer la crise ». L’île d’Aphrodite risque encore longtemps d’être un véritable casse-tête.
http://www.diploweb.com/forum/chypre07023.htmhttp://www.diploweb.com/forum/chypre07023.htm
http://www.trtfrench.com/trtworld/fr/newsDetail.aspx?HaberKodu=6d8611a2-c6b8-40d1-9136-8874f12e4900
http://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_Annan
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1634
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