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28 juin 2012 4 28 /06 /juin /2012 16:36

251px-Chechnya03.pngLes véritables raisons des affrontements entre la Fédération de Russie et la République de Tchétchénie qui ont eu lieu au cours des années 90 et début 2000 restent bien souvent occultées et tues par les politiques et les médias.

 

Pour comprendre les conflits passés et les tensions actuelles, il est indispensable d’avoir une approche ethnolinguistique et confessionnelle du peuple tchétchène ainsi qu’ historique et géographique en  remontant au XVIIIème siècle, lors des premières tentatives de conquête de la Ciscaucasie par l’Empire russe et en prenant en compte la dure période soviétique durant laquelle les territoires furent redécoupés et les populations déplacées ou déportées.

 

Les Tchétchènes : Un  tempérament particulier

 

Plus connus sous le nom de « Vaïnakhs » (« notre peuple »)  jusqu’au début du XIXème siècle, soit dés les premières conquêtes de l’Empire russe en Ciscaucasie, les Tchétchènes et les Ingouches, qui appartienent à la famille ethnolinguistique caucasienne, se divisent en « teips », sorte de clans : le groupe des teips galgaï qui deviendront les « Ingouches » (du nom de la ville Inguch) et le groupe des teips nakhs appelés aujourd’hui Tchétchènes (d’après le nom de la localité Tchetchen).

 

La particularité de ce peuple est bien leur tempérament. Ce sont des montagnards habitués à vivre dans des conditions difficiles d’où  une forte tenacité à toute épreuve. Depuis des siècles, les Tchétchènes ont toujours opposé une résistance farouche à toute soumission : ni le Royaume de Géorgie, ni le Califat arabe, ni la Horde d’or, ni l’Empire ottoman et ni le Khanat de Crimée ne sont parvenus à imposer leur autorité aux Vaïnakhs.

 

Une islamisation tardive

 

L’autre particularité est que  l’islamisation de ce peuple fut très tardive dans cette région du Caucase. Ce n’est qu’au XVIème que l’islam, venu du Daghestan, s’introduit en Ciscaucasie. Jusque là, la plupart des Vaïnakhs étaient attachés aux croyances chamaniques. Une autre partie des teips vaïnakhs avaient été convertis au christianisme orthodoxe géorgien au Xème siècle.

 

C’est au début des premières conquêtes russes, en 1785 que les Vaïnakhs seront rassemblés par le Cheikh Mansour (guerrier tchétchène) afin de lutter contre les russes sous la bannière de l’islam. L’actuelle Tchétchénie était en fait une véritable enclave (avec l’Avarstan) au sein de l’Empire tsariste. En 1810, le groupe des teips galgaï, soit les Ingouches décident de s’en remettre aux Russes, position qui séparera définitivement les Ingouches et les Tchétchènes.

 

Même si les médias tentent d’occulter les facteurs ethnolinguistiques et confessionnels dans les conflits russo-tchétchènes,  les Russes étant un peuple indo-européen et chrétien tandis que les Tchétchènes appartiennent au groupe ethnolinguistique caucasien et sont de confession musulmanne, il est toutefois évident que ces deux critères constituent bien des éléments explosifs dans le contexte caucasien.

 

Les conflits  tchétchèno-russes jusqu’en 1944

 

En 1834, les Tchétchènes rejoignent les Daghestanais et se regroupent au sein de l’Imamat des Mourides (confrérie Soufi, branche mystique de l’Islam) afin de lutter contre les Russes et de mener le « gazavat » (guerre sainte islamique) en Ciscaucasie. Jusqu’en 1859, ils mèneront des guerres sans répit contre la Russie et seront finalement intégrés par l’Empire en poursuivant toutefois la guérilla dans les montagnes ciscaucasiennes jusqu’en 1917.

Profitant de la période chaotique de la « révolution russe », les Tchétchènes créent la « République des Montagnes » et mènent une lutte acharnée contre les Soviétiques. Ces derniers parviendront à800px-Map of Mountain ASSR liquider cette rébellion en 1921. En 1922, l’URSS crée la Région Autonome tchétchène et en 1924, la Région autonome ingouche. Lors des réformes sur les frontières des régions autonomes instaurées par Staline, les Vaïnakhs (Ingouches et Tchétchènes) seront réunis au sein de la République autonome tchétchéno-ingouche en 1936.

Quand la Wehrmacht arrive dans le Caucase en 1942-1943, les Vaïnakhs collaborent avec l’Allemagne afin de lutter contre les Soviétiques. Après le départ des troupes allemandes, des milliers de Tchétchènes et Ingouches seront déportés en Asie centrale et 50 000 d’entre eux périront au cours de ce long et terrible périple.

 

La réhabilitation des Vaïnakhs en Ciscaucasie et le début de nouvelles hostilités

 

En 1956, lors du XXème Congrès du Parti Communiste, Nikita Khrouchtchev annonce la réhabilitation des Tchétchènes et des Ingouches en Ciscaucasie et recrée la RASS Tchétchéno-Ingouche. Simplement, le district ingouche de Prigorodny a été cédé à l’Ossétie du Nord en 1943 et le district tchétchène de Novolakski attribué au Daghestan en 1944 lors de la suppression de la RASS Tchétchéno-Ingouche. Tchetchenie.pngCette nouvelle découpe provoquera dés la dissolution de l’URSS de nouveaux conflits dont la guerre russo-tchétchène et le conflit ingoucho-ossète, de même que des tensions entre Tchétchénes et Avars.

 

En octobre 1990 a lieu le Congrès des Peuples Tchétchènes à Grozny, visant à obtenir la souveraineté nationale  pour la Tchétchéno-Ingouchie. En novembre 1990, le Soviet suprême de la RASS adoptait une déclaration de souveraineté de la République et demandait également l’égalité des droits de tous les sujets tchétchènes et ingouches avec toutes les républiques RSFS de Russie. En même temps, des députés ingouches réclamaient la réattribution des territoires rétrocédés aux autres républiques en 1943/1944, (suite à la suppression de la RASS de Tchétchéno-Ingouchie) et la réhabilitation des peuples déportés par Staline. Face à la montée du nationalisme tchétchène et ingouche, la communauté russe, très nombreuse dans le Nord de cette région, demanda immédiatement le rattachement des districts de Naourski, de Sounjenski et de Chelkovski à la province de Stavropol auxquels ils appartenaient jusqu’en 1957. Face aux tensions entre les différentes communautés, soit entre les Tchétchènes et les Ingouches, les Russes et les Ossètes, le Soviet suprême de la république est déclaré illégitime lors du IIème Congrès du Peuple Tchétchène en juin 1991 et de facto la Tchétchéno-ingouchie est séparée de l’URSS.

 

Les guerre russo-tchétchènes : 1994- -1996 et 1999-2002

 

C’est en 1994, que la Russie tente de reprendre le contrôle de la Tchétchénie. Ce premier conflit sanglant qui dura 2 ans  se soldera par un échec militaire, politique et moral de l’armée russe. En 1999, les attentats terroristes survenus à Moscou notamment, serviront de prétexte pour reconquérir la Tchétchénie par les forces militaires russes. Bien que l’opinion en Russie considère cette guerre comme une réussite, cette offensive est bien loin d’avoir stabilisé cette région du Caucase et d’avoir permis une forte domination russe en Tchétchénie.

Côté tchétchène, malgré la résistance et les moyens matériels considérables déployés, ils ne sont pas parvenus à obtenir le soutien de la Communauté internationale, des autres peuples musulmans et de la Géorgie voisine, ouvertement anti-russe mais aussi anti-tchétchène. De plus, la Tchétchénie et l’Ingouchie se sont retrouvées complément encerclées : Au Nord, par l’armée russe, au Sud la frontière fut bloquée par la Géorgie (cette dernière contestant les prétentions territoriales tchétchènes  relatives à une zone montagneuse sur la frontière tchétchéno-géorgienne) et à l’Ouest par l’Ossétie du Nord quant aux différends frontaliers opposant les Ossètes et les Ingouches. Le seul accès vers l’extérieur fut un passage très étroit et escarpé vers l’Azerbaïdjan via le Daghestan mais qui tout de même avait permis un trafic d’armes avec la discrète « bénédiction » d’Ankara.

 

Malgré la puissance militaire russe, la configuration de cette zone de combats, soit un massif montagneux et escarpé limitant ainsi l’acheminement des troupes et du matériel, l’armée russe s’est retrouvée confrontée à une situation comparable à celle qu’elle avait vécue en Afghanistan : des ennemis invisibles mais omniprésents.

Outre le tempérament tenace des Tchétchènes, la guerre caucasienne du XIXème siècle, les déportations de 1944, les luttes anti-soviétiques de 1917-1921 et 1942-1943, les problèmes de tracé des frontières de même que  les facteurs ethnolinguistiques et confessionnels et surtout l’implosion du bloc soviétique sont en fait les causes véritables de ces conflits russo-tchétchènes, (comme d’autres d’ailleurs). Il serait presque utopique de croire à une stabilisation de cette zone, notamment dans le contexte actuel du monde arabe. Les peuples du Caucase n’ont sûrement pas dit leur dernier mot. Sans parler d’une présence justifiée des troupes russes dans cette région, le danger actuel se trouve dorénavant sur l’axe nord-sud menaçant la paix mondiale. En maintenant une certaine pression sur cette zone sous haute tension gênant la formation de groupes jihadistes , en entretenant de bonnes relations avec l’Iran, la Russie conserve son rôle de grandes puissances mais assure probablement une certaine sécurité dans cette région où la paix n’a jamais été une tradition.

 

                                                                                                                                                    Ecrit par Chantal DOUPEUX

 Sources:

Oleg Serebrian "Autour de la Mer Noire : Géopolitique de l'espace pontique"

Le Monde Diplomatique 2002

http://www.worldwidepress.info/article-le-caucase-une-zone-sous-haute-tension-107469611.html

 

 

 

 

 

 

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26 juin 2012 2 26 /06 /juin /2012 21:07

ethnic map of CaucasusDepuis des siècles, l’espace caucasien pontique, de part la particularité de sa configuration physico-géographique et sa composition ethnique et confessionnelle reste avant tout une zone de conflits.

Cette région qui s’étend du Grand Caucase à la Mer noire pour atteindre la Mer Caspienne comprend au Nord, la Ciscaucasie avec 7 états fédéraux de la Russie : Daghestan, Tchétchénie, Ingouchie, Ossétie du Nord, Karbardino-Balkanie, Karatchaïvo-Tcherkessie, Adygée, les provinces de Krasnodar et de Stravopol et l’extrêmité ouest de la République de Kalmoukie et dans sa partie du Sud, la Transcaucasie dont l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie.

 

Cet axe, soit le Grand Caucase, la Mer Noire et la Mer Caspienne, outre sa spécificité multiethnique, offre également une particularité propre à cet espace, soit une diversité confessionnelle unique : Musulmans sunnites et chiites, Chrétiens orthodoxes et monophysites, bouddhistes, Lamaïstes, Zoroastriens, Juifs des Montagnes et Ebraelis.Caucasus Religious Composition sm

 

Tout autour, 3 acteurs géopolitiques forcés de se réorganiser suite à la dissolution de l’URSS au début des années 90 : la Fédération de Russie, la Turquie et l’Iran fondamentaliste.

 

A présent, la disparition du « dictateur géopolitique » que fut « l’Empire Rouge » et le « vide de pouvoir » que cette nouvelle donne a engendré dans les années 90, ont fait ressurgir de vieilles rivalités au sein des ex-républiques déjà sur le plan confessionnel, soit peuples chrétiens et musulmans et ethnolinguistique, les indo-européens et les caucasiens et enfin géoéconomiques.

Lors de la proclamation de leur souveraineté consécutive aux mouvements nationalistes et séparatistes à l'époque de la chute de l'URSS, ces ex-républiques socialistes se sont retrouvées confrontées aux problèmes majeurs du tracé des frontières et de la réhabilitation de certaines ethnies suite à leur déplacement pendant la  période soviétique pendant laquelle les décisions territoriales étaient généralement prises pour punir les uns et récompenser les autres. Enfin, cette région caucasienne comporte des intérêts géoéconomiques quant aux ressources énergétiques offertes par la Mer Caspienne et le rôle prépondérant de la mer noire pour son accès vers les océans.  Tous ces « composants » ont transformé cet espace en zone de conflits, conflits pour certains réactivés  et pour d’autres crées par l'organisation territoriale imposée par les Soviétiques privant certains peuples de toute aspiration à une unité nationale :

 

·       Les conflits actifs

 

La guerre russo-tchétchéne, le conflit sanglant du Haut-Karabagh (guerre azéri-arménienne) qui demeure gelé actuellement, les conflits géorgien-abkhazes et géorgien-ossètes (intervention militaire russe en 2008)

 

·       Les conflits passifs

Les dissensions irano-azéries, turco-arméniennes, azéri-géorgiennes, osséto-ingouches, lézghieno-azéries et arméno-géorgiennes

 

·       Les conflits latents

 Parmi la vingtaine de conflits potentiels recensés, les problèmes de la frontière avec la Tchétchénie et l’Ingouchie, mais aussi avec le Daghestan et la Tchétchénie, l’autonomie des Laks, problème de l’Avarstan..etc peuvent être cités

 

En conclusion, la présence russe et ses interventions dans le Caucase, ne sont qu' en fait un prolongement de la politique soviétique mais aussi tsariste  même si la Fédération de Russie s’en défend. Depuis la dissolution de l’URSS,  les Russes n’ont jamais accepté la perte d’une partie de leur territoire (55%) et de sa population (45%). L’enjeu géopolitique de cette région est telle que son alliance « tacite » mais indéniable avec l’Iran fondamentaliste qui pourrait paraître hors nature a son explication dans la continuité de son opposition à la Turquie, soit de l’OTAN (la Turquie étant membre de l’OTAN depuis 1952).

En utilisant l’argument, souvent à raison du panislamisme et du maintien de la paix sur cet espace caucasien, la Fédération de Russie compte bien se maintenir dans cette région puisqu’elle a perdu son accès à la mer noire, ses intérêts directs sur la mer caspienne sont compromis et compte tenu de l’accroissement de la  population musulmane sur cette zone, l’influence wahhabiste venue d’Arabie Saoudite et soupçonnée de financer les Révolutions Arabes  menacant ainsi la paix du monde, la Russie tente de rester maître de ses ex-sujets souverains sur cet espace caucasien pontique.

Sa prise de position  dans la crise syrienne, dans le cadre de ses intérêts  géostratégiques (bases russes stationnées dans le port de Tartout en Méditeranée), économiques (livraison d’armes..), et son alliance avec l’Iran expliqueraient son soutien au régime de Bachar Al-Assad considéré comme le « musulman adéquat » pour maintenir les intérêts et la position de puissance régionale géopolitique de la Russie tout en poursuivant son rôle traditionnel d’adversaire juré des Occidentaux, en maintenant des zones de conflits gelés et ainsi, sa présence sur cette zone perturbée en prétextant le maintien d’une paix "déguisée".    

                                                

                                                                                                                                     Ecrit par Chantal DOUPEUX

 

 

Sources : Oleg Serebrian "Autour de la Mer noire : géopolitique de l'espace pontique"

Courrier de Russie Février 2012

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